Le bal des prophètes déchus
RELATION ADMINSITRATION DECONCENTREE ET ADMINISTRATION DECENTRALISEE.
Le regard d’un citoyen burkinabè.
Le Burkina Faso est en train d’expérimenter une fois de plus la phase des délégations spéciales. Bien que passagère, cette étape est la bienvenue pour recadrer les choses, surtout pour remettre l’administration déconcentrée dans son élément. Ce repositionnement concerne, et selon l’auteur de cette réflexion, les préfets et les hauts commissaires, ces combattants de l’administration déconcentrée contre qui les conseillers municipaux et régionaux qu’il qualifie de «prophètes déchus», ont passé tout le temps à combattre. Lisez donc.
Conçu comme une composante du développement, le processus de décentralisation a été amorcé depuis 1991. Il atteindra sa phase de croisière en 2006 avec la décentralisation intégrale. Après deux décennies, certes il y a eu des avancées significatives, mais on a déploré des dérives d’élus locaux qui ont malheureusement fait dérailler la locomotive. Afin de mieux sceller leur alliance avec cupidon, ils ont opté pour une politique de démantèlement des structures déconcentrées de l’État afin de surfer en toute impunité sur les «jetons» remis par l’État. Pour cela, il leur fallait définitivement abattre les chefs de circonscriptions administratives ou à défaut, les déposséder de leurs attributions en usant de multiples supercheries. Ces «prophètes envoyés aux peuples par des anges corrompus» ont passé le clair de leur temps à prêcher contre l’apocalypse, incarnée à leurs yeux par les préfets et hauts commissaires à leurs yeux. Analyse d’une situation qui mérite des retouches.
Avant tout propos, spécifions que le corps préfectoral ne date pas d’aujourd’hui. Il renvoie à l’ensemble des fonctionnaires représentant l'État français dans les collectivités territoriales, appartenant aux cadres des préfets, sous-préfets, secrétaires généraux de préfecture et directeurs de cabinet de préfet. Le préfet, placé sous l'autorité du ministre de l'Intérieur, se situe au sommet de la hiérarchie. Ce corps fut créé sous Napoléon Ier par la loi du 28 pluviôse an VIII. Le préfet, nommé par le pouvoir central, en était le représentant dans le département, dont il assurait l'administration. Souvent issus de l'École Nationale d'Administration, les préfets sont nommés par décret du président de la République en conseil des ministres. Astreints au devoir de réserve, ils ne peuvent ni se syndiquer ni adhérer à un parti politique.
Au Burkina Faso, la dénomination de préfet et la compétence territoriale ne coïncident pas avec celle de la France ou d’autres pays. Elle varie donc en fonction du choix de l’organisation du territoire. Dans le cas typique de notre pays, on peut citer le gouverneur, le haut-commissaire et le préfet qui sont respectivement chefs de circonscriptions administratives de la région, de la province et du département. Après les indépendances en 1960, notre pays a hérité d’une organisation territoriale coloniale. C’est en 1974 que le pays va connaître sa première réforme territoriale avec la subdivision du pays en 10, puis 11 départements. Les départements, les sous-préfectures, les arrondissements et les communes étaient des collectivités territoriales. Mais avec l’avènement de la révolution, on procédera à une forte déconcentration en 1983 par la création de 25 nouvelles provinces. Le processus de la déconcentration va se poursuivre jusqu’en 1985 avec 300 départements. Pendant cette époque, les hauts commissaires et les préfets de départements sont fortement mis à contribution dans tous les secteurs de développement. Avec la restauration de l’État de droit en 1991, le territoire est organisé en collectivités territoriales communément appelée la décentralisation. La loi confère aux collectivités locales une autonomie de gestion sans pour autant occulter la représentation du pouvoir central incarné par les circonscriptions administratives. Les premières lois sur la décentralisation interviendront en 1993 avec la création de 33 communes avec l’intervention en février 1995, des premières élections municipales. En 1998, le nombre de communes urbaines passera de 33 à 49 par les élections de 2000. Cette étape marquera le début du martyre des représentants déconcentrés de l’Etat. En effet, c’est la phase de la chasse aux sorcières entreprise par des «prophètes élus» contre les représentants de l’État. Les préfectures seront assaillies en plein jour et dépouillées par des élus locaux politiquement «puissants» demandant aux préfets de libérer les locaux sous le regard silencieux et complice de l’administration centrale. Cette situation ira crescendo et verra même la naissance du «mouvement anti préfets», toute chose qui finira de consommer la défiance et la déviance vis-à -vis de l’autorité de l’Etat central. Pour que la décentralisation puisse concerner l’ensemble de la population, elle sera généralisée en 2006 par le biais de la communalisation intégrale qui consacrera 351 communes dont 302 rurales et 49 urbaines. Mais juste après la phagocytose des départements par la création des communes rurales, on assistera à la naissance d’un courant de pensée anti préfets initié par certains maires qui voient à travers les préfets, des ennemis jurés à abattre. C’est ainsi que des théories aussi irréalistes qu’illusionnistes verront le jour avec pour seul objectif, la suppression sans condition de la fonction du préfet.
Dans cette dynamique de nihilisme étatique et dans la perspective de s’affranchir définitivement de la tutelle administrative des hauts commissaires, les maires, en avançant l’argument de se sentir «orphelins» dans le dispositif institutionnel, obtiendront un ministère plein en décembre 2013. Après avoir scellé un concubinage incestueux avec certains responsables du Ministère de l’Aménagement du Territoire et de la Décentralisation, nos illustres élus locaux reviendront à la charge en 2014 par un dernier réquisitoire adressé au Chef de l’État d’alors; réquisitoire dans lequel ils demandaient sans équivoque un enterrement sans aucune forme de procès, des fonctions des hauts commissaires. A ce propos un ministre (celui des maires, il faut le dire ainsi) affirmait que l’heure avait sonné pour les chefs de circonscriptions administratives; et de ce fait, même l’extinction de la race des gouverneurs n’était plus qu’une question de temps. Cette attitude peu orthodoxe semble difficilement acceptable par des esprits lucides qui croyaient voir en la décentralisation un moyen de promouvoir le développement local. Or il s’agissait là des ambitions impérialistes démesurées d’élus locaux vomis par des populations, mais qui ne doivent leur ascension qu’à leur imposition par les états major des partis politiques depuis Ouagadougou au mépris de la volonté de la base. Cette situation aussi révoltante est révélatrice d’une intension malsaine inavouée quand on sait que certaines communes (assistées permanentes et démunies) peinent à mobiliser ne serait que 2 à 3 millions de recettes propres pendant que les maires se focalisent eux, sur un antagonisme imaginaire d’avec les chefs des circonscriptions administratives dont ils réclament les peaux. Pour ce faire, ils useront et utiliseront toutes sortes d’arguments, voire d’arguties souvent.
Contrairement à la coutume et aux us du bon sens administratif et sous l’effet de la mode et de la contagion temporelle, le mutisme de l’administration face aux agissements des élus locaux s’est traduit par un désaveu des préfets. A ce sujet, le ton avait été donné par l’une des premières déclarations concernant les préfets dont la présence se limiterait à être les «oreilles et les yeux» de l’administration. C’est ainsi que l’une des premières propositions exigeait leur cantonnement dans les locaux des hauts commissariats sous la dénomination de «préfets itinérants» et le retrait pur et simple des départements de leurs prérogatives afin que s’accomplisse enfin la sainte prophétie du règne sans partage des maîtres du jour. Les raisons évoquées étaient entre autres, le doublon que créerait la présence d’un préfet dans une commune; l’existence d’un conflit de compétence entre le préfet et le maire; la nécessité d’un tribunal communal afin de juger et de trancher les litiges; l’impérieuse obligation du respect des deux niveaux de décentralisation à savoir la région et la commune, ce qui reviendrait radicalement à la suppression pure et simple de la fonction des hauts commissaires. Ne reculant devant rien pour l’accomplissement de leur dessein caché, ils feront recours à la Constitution qui organise le territoire national en collectivités territoriales à savoir la commune et la région. La campagne s’accentuera par le boycott et le manque de considération pour les représentants de l’Etat. Il s’en suit une politique d’indifférence et de mépris vis-à -vis des hauts commissaires et des préfets de département. L’ordre de préséance entre les élus locaux et les représentants de l’État lors des cérémonies fait débat dans la maison des hommes du sérail qui exigent que les présidents des conseils des collectivités territoriales soient cités en premier avant les chefs des circonscriptions administratives. On assistera de plus en plus à la contestation des certains préfets par des maires puissants entraînant souvent la révocation de certains préfets. L’autorité centrale, au lieu de trancher en faveur de ses représentants, se fera complice à telle enseigne que la phrase la plus en vogue ces temps-ci est : «si vous et votre maire vous ne vous entendez pas, sachez qu’il est plus facile pour nous de mettre fin à vos fonctions». Eh oui ! Mettre fin aux fonctions d’un représentant de l’État qui veille au respect des lois que justement veulent enfreindre les élus locaux en toute impunité. C’est à en perdre son latin administratif. Cette attitude laisse libre cours à la lubie de certains élus locaux qui, de par leur jeu bien masqué, ont fini par transformer en toute connaissance de cause leur mairie en un tribunal dans lequel ils tranchent des litiges de tous ordres opposant les populations rurales, ignorantes, pour la majorité.
Nonobstant cette situation kafkaïenne, l’importance de la présence des préfets n’est plus à démontrer. En effet, et contrairement à toutes les opinions frelatées invoquées par des élus locaux en quête de notoriété entachée par des scandales de vente illicite de parcelle et une main mise sur les marchés de la commune, la présence de l’État souverain ne saurait être remise en cause par des individus qui, au nom de la décentralisation ont spolié les maigres ressources mises à la disposition des populations par le jeu du transfert des ressources aux collectivités. Plusieurs facteurs et raisons le démontrent aisément. Tout d’abord, les fonctions des chefs de circonscriptions administratives et celles des président des conseils des collectivités ne sont ni similaires, ni antagonistes. En plus, les premières citées ne sont nullement superflues comme l’ont prétendu certains idéologues. Les chefs de circonscription administratives à l’exception des officiers de police et des forces de défense et de sécurité, sont choisis parmi les fonctionnaires de catégorie A ou B et nommés par décret en conseil des ministres. Ils représentent l’État à travers des actions encadrées par un acte règlementaire contrairement aux élus locaux qui sont des citoyen instruits ou le plus souvent analphabètes, élus sous la bannière de partis politiques par la population dont ils sont les représentants et au nom de laquelle population ils agissent en toute autonomie conformément à la loi. Donc, maintenir les fonctions des préfets et des hauts commissaires est une nécessité absolue dans notre dispositif institutionnel. Cela y va d’abord pour le respect de la forme de l’Etat du Burkina Faso. En effet, le Burkina Faso est un État unitaire et non fédéral. Ce qui a amené le gouvernement à opter pour la déconcentration des services techniques et la décentralisation en tant que mode d’organisation territoriale. Ainsi l’autonomie accordée aux collectivités territoriale ne pourrait en aucun cas se substituer à une indépendance qui exclurait de droit la présence de l’État. De ce fait, l’existence des préfets et des hauts commissaires en tant que dépositaires de l’autorité de l’État est une nécessité absolue qui témoigne de la présence effective du pouvoir centrale, responsable de la souveraineté. Il y’a aussi l’exercice de la délégation spéciale. Cela colle d’ailleurs à notre actualité. En fait, la continuité du service public, principe fondamental dont l’État est garant ne saurait souffrir d’aucune dérogation. C’est pourquoi lorsque survient la dissolution d’un conseil municipal pour cause de blocage ou après révocation du maire suite à des malversations avérées dont certains se sont illustrés en toute impunité, l’administration doit suppléer cette phase de paralysie administrative. Il est donc du devoir de l’État d’assurer la continuité du service à travers la mise en place d’une délégation spéciale présidée par les hauts commissaires des provinces et les préfets des départements qui, de par leur formation conjuguent à la fois compétence, neutralité et transparence. Autre argument, la convocation et la mise en place des démembrements de la Commission Électorale Nationale Indépendant (CENI) à l’échelle locale à savoir les CEPI et les CECI dont les convocations des différentes composantes pour l’élection des bureaux, sont du ressort des gouverneurs, des hauts commissaires et des préfets qui favorisent de ce fait, la tenue d’élection transparentes. Beaucoup de citoyens, errant dans les profondeurs des provinces, sont ignorés des maires qui, le plus souvent les renvoient vers les préfets et les hauts commissaires en cas d’occurrence de la moindre difficulté sur le terrain. Et mieux, les maires dépendent des préfets. Avant toute entrée en fonction des élus locaux, ce sont les chefs des circonscriptions administratives qui convoquent les premières sessions des conseils municipaux permettant d’élire les maires et les présidents des commissions et ce, après les élections municipales. On note que ces opérations non budgétisées, sont faites par les propres moyens des préfets sans aucun soutien de l’État. En outre, l’installation du maire relève de la compétence des préfets, des hauts commissaires et des gouverneurs pour qui ces derniers doivent avoir du respect et de la considération sans compter qu’il y’a des compétences qui sont hors de la portée des maires.
La myopie administrative de certains élus ne doit nullement occulter le principe de la progressivité qui caractérise le transfert des compétences aux collectivités. Il existe toujours des services techniques déconcentrés à l’égard desquels les chefs de circonscriptions administratives assurent la supervision. Il s’agit entre autre des directions régionales, provinciales et des services départementaux en l’occurrence les services des enseignements de base et du secondaire, de l’agriculture, de l’élevage, de l’environnement…pour lesquels des documents administratifs sont régulièrement délivrés. Des revendications des maires, il ressort la création des tribunaux communaux, chose impossible, voire absurde. Nos braves maires réclament la suppression des tribunaux départementaux par la création des tribunaux communaux qui leur seront confiés. C’est le paroxysme de l’aberration administrative. Cette dérive résulte d’une part d’une ignorance notoire en partie liée à leur niveau d’instruction et d’autre part d’une confusion entre la localisation des tribunaux départementaux et ceux d’arrondissements logés au sein des sièges des mairies d’Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso. Cette démarche assassine cache mal le fait que le principe basique de la séparation des pouvoirs rend incompatible la fonction de maire et celle de président de tribunal qui exige neutralité, impartialité et compétence; ce qui semble être une denrée rare dans la famille municipale.
Par ailleurs, la situation des tribunaux d’arrondissements logés dans les locaux des mairies se justifie uniquement par la problématique de la disponibilité de sièges pour les membres des tribunaux d’arrondissements; ce qui ne signifie en rien la mainmise des maires sur l’institution judiciaire. A ce sujet, on pourrait prédire sans risque de se tromper que, s’il advenait que les préfets venaient un jour à être dessaisis de la présidence des tribunaux départementaux, la certitude absolue est que cette présidence ne serait jamais assurée par des élus locaux. Bref, on pourrait longuement épiloguer sur cette relation que les élus locaux ont suffisamment rendue trouble et invivable entre eux et les représentants de l’Etat central que sont les gouverneurs, les hauts commissaires et les préfets.
Mais ce qui est urgent et essentiel, c’est comment sauver et sauvegarder les populations des griffes des élus locaux qui sont d’ailleurs sensés agir et parler en leur nom. La restauration de l’autorité de l’Eta nous préoccupe également. C’est pourquoi, et pour que plus jamais nous ne vivions ces humiliations, il va falloir revisiter les textes afin de limiter ces vagabondages municipaux qui sévissent sous nos tropiques. Pour ce faire, il faudra, entre autres mesures, permettre aux préfets d’exercer le contrôle à travers la tutelle rapprochée des communes par délégation des hauts commissaires; donner la possibilité aux hauts commissaires de suspendre tout maire coupable de fautes de gestion et ce, après avoir informé le gouverneur; mettre à la disposition des préfets et des hauts commissaires, des moyens adéquats pour la formation directe des conseillers municipaux relevant de leur ressort; confier les questions foncières aux chefs des circonscriptions administratives et aux services techniques déconcentrés concernés; clarifier l’ordre de préséance entre les chefs des circonscriptions administratives et les maires; exiger un minimum de niveau d’instruction pour les conseillers municipaux.
Que DIEU bénisse le Burkina Faso.
Un citoyen soucieux de l’avenir de son pays.
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